Loin des fastes des formidables palais qu'il a fréquentés, Napoléon rejoint sa dernière demeure le 10 décembre 1815. Débute alors une improbable routine où celui qui a connu une vie hors du commun sur les champs de bataille de toute l'Europe -- et du Moyen-Orient, campagne d'Egypte oblige -- s'installe, avec son maigre entourage, dans un simulacre de cour où l'étiquette est encore plus rigide qu'à Fontainebleau. Dans cette ambiance, le conquérant de l'Europe, qui entreprend la rédaction de ses mémoires dont le Mémorial de Sainte-Hélène se fera quelques années plus tard le retentissant écho, a tout le loisir nécessaire pour réfléchir à sa situation.
Dans une promiscuité à laquelle il n'était plus habitué, protégé de toute excessive familiarité par des compagnons d'infortune jaloux de leurs prérogatives, surveillé à l'excès par un gouverneur obsessionnel qui outrepasse largement ses attributions, l'Empereur vit ses dernières années dans une atmosphère chargée, soupçonneuse, douloureuse... où, en dépit d'un semblant d'activité et des occupations générées par les conflits de personnes, prédominent l'ennui et la morosité.
Quand, le 15 avril 1816, le nouveau gouverneur anglais tente de s'inviter dans cette ambiance délétère, c'est une guerre de tous les instants qui s'amorce entre le relégué et ses geôliers. A compter du 18 août, au terme d'une cinquième et infructueuse rencontre, les deux hommes, incapables de se comprendre et de se respecter, ne se verront plus pendant les cinq années de cette funeste bataille.
Dans ce conflit, toutes les armes sont bonnes et, retranchés dans leurs postures, les belligérants font feu de tout bois. Si les boulets et obus sont heureusement remplacés par des courriers incendiaires et des prises de position tranchées à l'excès, les dégâts n'en sont pas moins considérables. Maniant sans concession l'arme budgétaire, la suspicion et les vexations à l'égard des proches de Napoléon, l'Anglais complique la vie des retranchés. De son côté, l'empereur déchu refuse de rendre les armes et, fidèle à ses principes, éconduit les émissaires expédiés par les puissances alliées qui, dans une certaine mesure, seront eux aussi retenus contre leur gré dans ce lointain exil.
C'est cette histoire que raconte, avec force détails, ce numéro de Gloire & Empire. Indécente par les excès commis, choquante par la brutalité de mesures inutiles, elle suscitera la réprobation lorsqu'elle sera partiellement connue après le décès de l'Empereur ; Hudson Lowe, désapprouvé par l'opinion et abandonné par ses supérieurs, en paiera d'une certaine manière le prix dans la suite de sa carrière. Elle créera aussi une atmosphère de suspicion autour de la mort de l'illustre exilé dont les circonstances, toujours discutables, justifient encore aujourd'hui des prises de position hélas invérifiables.
Complété par nos rubriques habituelles, ce numéro s'efforce de faire impartialement le point sur un thème souvent abordé mais rarement étudié aussi exhaustivement. Bonne lecture !