Avec ce dossier, Gloire & Empire oublie pour un temps les illustres campagnes et les glorieux faits d'armes pour se tourner vers des pages plus sombres de l'histoire de l'Empire. En Russie principalement, mais aussi en Espagne et dans maints combats, les soldats de la Grande Armée ont parfois vécu des moments terribles et ceux qui n'ont pu échapper à la captivité ont souvent payé un prix encore plus élevé.
A une époque où la vie humaine n'avait guère de valeur, on ne dispose que de grossières approximations sur les pertes de la campagne de Russie. Sur probablement 617 000 hommes engagés dans cette gigantesque opération militaire, combien sont-ils réellement revenus ? Les meilleures sources affichent entre 200 000 et 300 000 morts, la moitié au combat, les autres des privations multiples et, bien entendu, du froid et de ses effets. Beaucoup désertèrent ou rejoignirent le flot grandissant des réfugiés qui suivaient avec peine l'armée. On sait peu de chose sur eux. De l'armée proprement dite, après le retournement des Prussiens et l'abandon des Autrichiens, il reste environ 100 000 hommes retranchés au début du mois de janvier 1813 dans les places fortes de la Vistule.
Parmi les zones d'ombre figure le nombre des prisonniers. Combien étaient-ils ? Au moins 150 000 selon Koutouzov, 190 000 pour d'autres... Un recensement tardif et sans doute incomplet, réalisé à la demande louable d'Alexandre Ier, fait état de 110 300 captifs dont 38 généraux et au moins 3 000 officiers. Plus de la moitié d'entre eux étaient déjà morts en février 1813 lors de l'établissement de cette statistique.
C'est à ces hommes qu'est dédié ce numéro de Gloire & Empire qui raconte les souffrances incroyables endurées par les prisonniers de la Grande Armée. Dans l'horreur, elles valent bien les récits des rescapés des effroyables pontons anglais -- auxquels nous consacrons également un article -- ou encore les atrocités commises sur l'île de Cabrera. Pourtant, même si les captifs ont plutôt été maltraités par des Russes avides de vengeance, beaucoup ont profité de remarquables actes de générosité et certains ont même fait souche en Russie. Chaque parcours individuel est différent, chacun ayant vécu ses propres expériences. L'ensemble laisse néanmoins un goût amer. Ces hommes méritaient-ils leur sort ?
Finalement, nous ne savons pas davantage combien d'entre eux sont revenus. Les meilleures sources parlent de 15 à 30 000 hommes. C'est bien peu et cela alourdit encore le bilan de cette désastreuse campagne qu'il aurait été si facile d'éviter. Retenons des récits rapportés l'effarante intensité des destins individuels. Bizarrement, les campagnes du premier Empire n'ont pas ménagé les hommes mais, à l'échelle de l'histoire, elles ont favorisé le rapprochement des peuples.