Alors que les armées de la Révolution sont fragilisées par l'émigration massive des officiers qui a désorganisé les meilleures unités, la situation est bien différente dans l'arme savante de l'artillerie. Grâce à la clairvoyance du duc de Choiseul, ministre de Louis XV, qui a su imposer un homme providentiel, l'artillerie française est supérieure en qualité et en efficacité à celle des autres nations européennes. Elle est à la fois plus moderne et en excellent état. Rationalisée et mobile, l'artillerie de campagne va multiplier les prouesses et largement contribuer au succès des armées révolutionnaires.
Malgré l'opposition farouche des tenants des pièces lourdes, Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval (1715-1789), père de l'artillerie moderne, a en effet entièrement repensé cette arme. Il a doté l'armée de pièces plus légères et plus maniables, dont il a prouvé l'efficacité, et développé le premier système complet d'artillerie française, divisé en artillerie de campagne, de siège, de place et de côte. Ce système, sans cesse perfectionné sous la houlette de brillants inspecteurs généraux, va accompagner les armées françaises durant la Révolution comme durant l'Empire.
Issu lui-même de cette arme, le Premier consul puis Empereur a su tirer le meilleur parti du système Gribeauval, imaginant et développant une doctrine nouvelle qu'il résume en cette phrase : "action massive de l"artillerie est seule capable d"amener la décision". Les grandes batailles de l'ère napoléonienne sont l'occasion de brillants duels d'artillerie face à des ennemis qui tirent vite les leçons de leurs échecs et, ne restant pas inactifs, parviennent à briser la supériorité française. Avec le manque d"hommes expérimentés et, surtout, la pénurie croissante de chevaux aptes aux usages militaires, cette évolution est l'une des causes de la chute de l'Empire.
C'est à l'histoire de cette artillerie que nous consacrons ce numéro de Traditions. Un numéro spécial, à la pagination exceptionnelle pour un sujet exceptionnel, concocté par Ronald Pawly et sa talentueuse équipe des Soldats Napoléoniens -- Jérôme Croyet, Patrick Ehresmann, Benoît Lorenzini, Jean-Jacques Prévost et Ronan Trucas -- qui vous proposent plus de 100 pages entièrement consacrées à l'artillerie de la ligne, à ses spécificités, à ses réussites et à ses échecs, à son évolution et aux unités qui l'ont composée. La densité de la matière est telle qu'il nous a fallu reporter au numéro suivant les rubriques habituelles et, à un numéro ultérieur, une part appréciable des textes spécialement écrits sur ce thème particulièrement intéressant et riche.
Ouvert à la fois sur l'histoire et l'uniformologie, sur la science militaire et l'évolution des techniques, sur la connaissance des régiments spécialisés et leurs affectations, sur le parcours des hommes engagés dans ces guerres, ce numéro spécial vous permettra de vous faire une idée plus complète de ce que représentait l'artillerie durant ce quart de siècle. Grâce aux talents de nos auteurs, il constituera très vite, nous en sommes persuadés, un outil de référence sur l'artillerie de la ligne durant les guerres de la Révolution et de l'Empire.