En préparant la campagne de Russie, Napoléon avait très vite perçu le piège que recelait la Bérézina. La leçon subie en 1708 par les Suédois menés par Charles XII ayant porté ses fruits, il avait pris ses précautions, d'une part, en maintenant une importante garnison à Borissov, et d'autre part, en couvrant ses arrières en positionnant les Autrichiens de Schwarzenberg à Minsk d'où ils auraient dû être en mesure de renforcer la Grande Armée à son retour de Moscou.
Evidemment, les événements ne se sont pas déroulés comme prévu et les rescapés de l'expédition ont bien failli être stoppés sur les rives de la célèbre rivière. Pourtant, en dépit de la légende encore renforcée par la connotation défaitiste attachée au nom de la Bérézina, la Grande Armée sort victorieuse du piège tendu.
Elle profite certes des errements des armées russes qui sont, elles-mêmes, victimes des rigueurs du climat. Il est vrai que les généraux russes ont bien du mal à cerner les intentions de l'ennemi et qu'ils ne parviennent pas à exploiter les renseignements recueillis et à tirer profit de leurs succès. Mais, surtout, face à l'adversité pondérée tout de même par une étonnante part de chance, la Grande Armée sait se montrer sublime dans l'épreuve. Jamais, sans doute, elle ne montra une telle opiniâtreté, combattant jusqu'au dernier moment et jusqu'à la limite de ses forces.
Sans pontons, avec des matériaux de fortune et peu d'outillage, elle vient à bout d'une rivière large d'une centaine de mètres. Sans cesser de combattre, les unités traversent l'une après l'autre deux ponts érigés par des hommes admirables auxquels l'histoire rend bien peu hommage. Si le destin est particulièrement dur pour les trainards, qui sont les véritables victimes du piège russe, la Grande Armée se montre totalement à la hauteur de sa réputation. A aucun moment, elle ne perd sa capacité de combattre. En dépit des pertes et des privations, elle déjoue les plans adverses et poursuit sa route vers Vilna et les magasins qui auraient dû la sauver.
Grâce au croisement des sources françaises et russes, ce numéro de Gloire & Empire apporte de nouveaux éclairages sur cet épisode extraordinaire de la campagne de Russie. Puisqu'il n'était pas possible de rentrer ici dans tous les détails de ces quelques jours décisifs, les auteurs ont choisi de clarifier, à l'intention de nos lecteurs, les mouvements des armées russes. Cela permet de mieux comprendre à la fois les plans de l'ennemi et l'extraordinaire chance dont a profité la Grande Armée.
Qui sait ce qu'il serait advenu de Napoléon si les plans d'Alexandre Ier avaient été couronnés de succès ? La Grande Armée aurait-elle pu résister à des forces bien supérieures en nombre ? Nous aurait-elle, au contraire, offert une autre version de son incroyable résistance ? Il est évidemment impossible de répondre à ces spéculations et il nous suffit de retenir l'histoire absolument exceptionnelle de ces quelques jours de folie...